UNE RÉVOLUTION PAYSANNE SILENCIEUSE

Histoire de la culture du blé


Les premières traces de farine remontent à l'âge de pierre, vers 100 000 ans avant Jésus-Christ. La farine était consommée avec des fruits en bouillie fermentée. À l'origine le blé était sauvage et consommé cru, et puis, avec l'arrivée de la poterie entre 7000a.C. et 8000a.C., on a commencé à le cuire pour le consommer sous forme de galettes ou de bouillies.  

 

L´agriculture a réellement été développée entre la période paléolithique et néolithique au Moyen Orient. L'orge est la céréale la plus ancienne à avoir été cultivée : 90% des terres céréalières de l'Antiquité lui sont consacrées. L'agriculture de la Grèce Antique était quasi exclusivement fondée sur les céréales, et curieusement, l´avoine et le seigle étaient ignorés car considérés comme inutilisables. Chez les Grecs de l'Antiquité, la déesse Déméter était vénérée pour avoir enseigné aux hommes la technique du labour et la façon de cultiver le blé. 


Les plus anciennes constructions politiques de la planète (en Mésopotamie, Égypte, Chine, Inde ou Amérique précolombienne) ont été fondées sur l'organisation et l'encadrement de la production de céréales, le plus souvent en liaison avec le développement de la maîtrise de l'eau. Selon les géographes P. Vidal de La Blache et M. Sorre, dans la première moitié du XXe siècle, les principales aires alimentaires antérieures à la révolution industrielle s'identifiaient à des aires de domestication progressive de céréales spécifiques et à des aires de civilisation particulières, ainsi que par leurs corps de croyances mythologiques et/ou religieuses (1). 


Aspects archéobotaniques


La botanique et la génétique permettent l'examen des nombreux changements qui mènent du blé sauvage au froment produisant la farine panifiable actuelle. Enfin, des cultures expérimentales de blé sauvage ont indiqué comment, à quelle vitesse et avec quel rendement ont pu se faire les récoltes préhistoriques avec les moyens de défrichement et les outils existant alors. L'ensemble des données disponibles indique que ce moment essentiel est intervenu au Moyen-Orient. La zone nucléaire constitue ce qu'on appelle le "Noyau Levantin" : les principales découvertes décisives ont été faites dans la région qui va de la vallée du Jourdain à l'Euphrate et qui forme un large arc de cercle ou "Croissant Fertile". On y trouve des steppes herbacées où poussent encore des blés sauvages ainsi que les traces des transformations de la plante et des premières sociétés pré agraires puis agraires. A partir de cette zone initiale, les innovations de nos lointains ancêtres ont diffusé vers l'Occident (2).

Les espèces archaïques de blé qu'on trouve encore dans ces régions, dispersées parmi d'autres plantes herbacées, sont bien différentes du froment cultivé actuellement. La première différence porte sur le mode de dispersion des graines. Les blés sauvages se reproduisent spontanément alors que le blé domestique ne peut le faire sans l'aide de l'homme. 

L’homme a toujours observé la nature et sélectionné les blés pour ne garder que les plus résistants. Rappelons-nous que dans l’Antiquité il n’y avait pas de pesticides, et pourtant, les premiers traces des cultures céréalières datent de 100 000 ans a.C.

Au fil des décennies, le blé a été alors modifié pour répondre aux contraintes de production, rendement et conditions climatiques. Aujourd´hui, l´agriculteur céréalier choisit ses graines dans le Catalogue Officiel des Semences (les variétés anciennes n´y figurent pas), et les graines affichent un rendement parfait sur le papier car les semenciers ont travaillé sur la productivité et la résistance des variétés. Malheureusement, ils ont oublié le goût, la saveur ne suit pas le rendement "parfait". 

Le début de la sélection moderne a extrait les blés les plus « performants », c’est-à-dire ceux qui répondaient le mieux aux besoins de l’homme à cette l’époque : une meilleure productivité. Les variétés locales ont progressivement disparu des campagnes au profit des variétés modernes entre 1900 et 1950. Au sortir de la seconde guerre mondiale, les organismes de recherche, comme l´INRA, créé en 1946 en France p.ex., ont commencé à sélectionner les blés pour leur capacité de production, de façon à ce que la population ne connaisse plus de pénuries ou de famines. 

Variétés anciennes x variétés modernes

Par rapport aux variétés modernes, les blés anciens sont riches en saveurs et ont un avantage majeur : leur digestibilité - les glutens des blés anciens et des blés modernes ne sont pas les mêmes. Les variétés anciennes sont plus fragiles et se décomposent lors des pétrissages. Le pain est plus digeste, y compris pour les personnes intolérants aux glutens, et très riche en fibres.

Le mot gluten en latin signifie « colle ». Le gluten aide à lever la pâte, grâce à une propriété collagène il donne à la pâte à pain son élasticité. Le blé, le seigle et dans une moindre mesure l’orge contiennent du gluten qui constitue, p.ex., 80% des protéines du blé.  Les gliadines sont allergènes mais leurs natures et proportions varient selon l'espèce de blé - les blés anciens contiennent deux fois moins de gliadines.

Pour ceux qui s’inscrivent dans une production boulangère en circuit court (paysans boulangers, meuniers, boulangers…), le plaisir à éprouver de nouvelles textures et de nouveaux arômes est liée à une recherche d’aliments bons et sains, à la fois mieux appréciés et tolérés par leurs clients. Par contre, le gluten est présent dans de plus en plus de produits céréaliers ultra-transformés et ingérés en beaucoup plus grande quantité (en texturant, agent stabilisant, ou ajouté aux farines dans les pains industriels), ce qui n’était pas le cas avant l’apparition massive de l´ultra-transformation qui utilise les produits issus du cracking alimentaire, auquel le blé n’a pas échappé.

Ce système alimentaire "moderne" et la mentalité de l´agribusiness doivent changer radicalement si nous voulons vivre dans un monde sain, équilibré et éco responsable. Les cultures patrimoniales et les savoirs ancestraux nous relient à notre passé, et nous offrent également des solutions aux problèmes agricoles actuels et futurs, notamment en ce qui concerne la conservation de la biodiversité.

Les menaces qui pèsent sur notre patrimoine horticole 

Le projet Scatterseed, présenté dans le documentaire "Seed: The Untold Story", a été lancé par Will Bonsall, il y a plus de 40 ans. Visionnaire, il voulait cultiver une gamme diversifiée, protéger la diversité agricole, et connecter les gens à leur patrimoine horticole, car le matériel génétique conservé dans certaines collections/banques de semences n'est pas accessible au grand public - Monsanto/Bayer sont derrière les difficultés d'accès à cette diversité botanique.

Le projet Scatterseed collecte, entretient et distribue des milliers de variétés de plantes cultivées, dont beaucoup rares ou en voie de disparition. Le lieu le plus durable pour préserver l´agrobiodiversité (diversité botanique), se trouve dans le paysage horticole - les jardins et les fermes du monde entier, où les variétés sont activement utilisées, évaluées, adaptées, évoluées.

L'extinction d´espèces est aussi une réalité liée à l´agriculture : 94% des variétés de semences de légumes ont été perdues au cours du 20e siècle alors que l'industrie se consolidait, et que la production alimentaire s'éloignait des fermes et des jardins potagers. Afin d'assurer ses revenus, l'industrie agroalimentaire a développé des variétés stériles. Les agriculteurs ont développé leur productivité grâce à des semences rentables, mais moins bonnes en saveur, moins robustes, moins résilientes. Ces variétés résistent peu aux maladies et doivent alors être traitées - on pulvérise chaque année plus de 800 000 tonnes de herbicides à base de glyphosate à l’échelle de la planète. C´est scandaleux face aux impacts négatifs sur le vivant, les produits agricoles et donc, notre alimentation. 

En 2017, Grano Salus, une organisation italienne de défense des consommateurs, décide de faire tester les spaghettis des huit plus grandes marques de pâtes italiennes pour savoir si on y trouve des résidus de #glyphosate. Ils en contenaient tous, mais toujours en deçà des limites permises. Ces résultats ne rassurent en rien Saverio de Bonis, président de l´association:

"Ce que dit la science, c’est qu’il ne faut qu’une faible dose pour avoir un effet endocrinien, une action d’interférence sur les hormones. Il n’y a pas de dose maximale ou minimale". 

Une nourriture vivante et diversifiée est au cœur de l´avenir alimentaire de l´humanité 

Dans les années 80, de multiples associations ont émergé autour de cultures fruitières et maraîchères : les Croqueurs de pommes (1978), la Garance voyageuse (1988), la Ferme des légumes oubliés (1977), la Ferme Ste. Marthe (début des années 1980), Kokopelli (issu de Terre de Semences créée en 1994), les Mordus de la pomme (1987), Fruits oubliés, le Conservatoire de la tomate, etc. Elles ont eu pour mérite de cultiver et de faire connaître la #biodiversité dans toutes ses dimensions : patrimoine régional, ressource génétique, plaisir du jardinier, plaisir des gastronomes…

Le groupe des acteurs de la remise en culture des variétés anciennes et de pays de blé s’est constitué au confluent de plusieurs engagements : choix en faveur de pratiques agricoles respectueuses de l’environnement (l’agriculture biologique, la biodynamie, la permaculture, l’agriculture naturelle - agroécologie), défense d’une agriculture paysanne composée de petites exploitations commercialisant en circuit court avec éventuellement une transformation à la ferme - notamment la valorisation en circuits courts d’une activité de boulange artisanale; initiatives de réappropriation de l’autonomie semencière, recherche d’un rapport de compagnonnage au vivant.

Le documentaire de Lila Ribi « Révolution silencieuse », donne la parole à un agriculteur du Jura vaudois, Cédric Chezeaux, reconverti à l'agriculture bio et aux anciennes céréales depuis une dizaine d'années. Lassé de produire sans véritables contacts humains pour l'agriculture intensive, il a voulu redéfinir lui-même sa pratique en accord avec ses convictions, son environnement et ses proches. Au risque de perdre les moyens de faire vivre sa famille, il vend ses vaches et se lance dans la culture de blés anciens. En cultivant des variétés de céréales locales il veut devenir producteur d’une nourriture vivante, saine, pleine de saveurs et préserver un patrimoine ancestral, la biodiversité semencière, mis à mal par les géants de l’agroalimentaire.

Dorénavant, laissez-vous émerveiller devant la beauté des grands blés-paysans : on peut les voir partout la campagne grâce aux paysans enracinés dans notre terre, passionnés, "unis, réunis autour de la diversité de nos blés [...] qui enchante nos campagnes et nos villes de multiples couleurs". 

Allant de la recherche, à la transformation, jusqu’aux personnes qui se nourrissent autour des blés paysans, un incroyable réseau de paysans a trouvé un sens pour construire un autre monde:  

"Nous avons tous à cœur de les faire vivre dans cet humus de l’humilité qu’est notre simple métier de paysan et pour d’autres de les faire dorer dans le feu de leur fournil et de vous produire des aliments de grande qualité". 


Sources et Références : 

(1) https://www.universalis.fr/encyclopedie/cereales/3-cereales-et-civilisations/

(2) http://www.snv.jussieu.fr/bmedia/blepain/1ble/12orig/origine.htm

http://revolution-silencieuse.ch/home/presse/

https://ressources.semencespaysannes.org/docs/bl_17x24_final_2008.pdf

http://www.intercourtage-bayonne.com/produits-cereales-legumes-secs/cereales/






Commentaires

  1. https://www.linkedin.com/posts/r%C3%A9giane-theyss-13542b82_bio-biodiversitaez-activity-6733404510363885568-W3WL

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  2. https://www.linkedin.com/posts/r%C3%A9giane-theyss-13542b82_seed-the-untold-story-hd-activity-6734492367727939584-GUiA

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